Hudoc référence | - | REF00000895 |
Type de Document | - | Arrêt (Radiation du rôle) |
Titre | - | AFFAIRE TSAVACHIDIS c. GRÈCE |
Numéro de requête | - | 00028802/95 |
Date | - | 21/01/1999 |
Défendeur | - | Grèce |
Conclusion | - | Radiation du rôle |
Mots clefs | - | Respect de la vie privée ; Liberté de religion ; Liberté d'association ; Discrimination ; Religion |
COUR EUROPEENNE DES DROITS DE L'HOMME
AFFAIRE TSAVACHIDIS c. GRECE
CASE OF TSAVACHIDIS v. GREECE
(Requête n°/Application no. 28802/95)
ARRÊT/JUDGMENT
STRASBOURG
21 janvier/January 1999
En l'affaire Tsavachidis c. Grèce,
La Cour européenne des Droits de l'Homme, constituée,
conformément à
l'article 27 de la Convention de sauvegarde des Droits de l'Homme et
des Libertés
fondamentales ("la Convention"), telle qu’amendée par le Protocole
n° 11, et aux clauses pertinentes de son règlement, en une grande
chambre composée des juges dont le nom suit :
Mme E. Palm, présidente,
MM. L. Ferrari Bravo,
G. Jörundsson,
L. Caflisch,
P. Kuris,
I. Cabral Barreto,
J.-P. Costa,
W. Fuhrmann,
K. Jungwiert,
M. Fischbach,
Mme N. Vajic,
M. J. Hedigan,
Mmes W. Thomassen,
M. Tsatsa-Nikolovska,
M. T. Pantiru,
M. E. Levits,
M. C. Yeraris , juge ad hoc,
ainsi que de M. M. de Salvia, greffier.
Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 17 décembre 1998,
Rend l'arrêt que voici, adopté à cette dernière
date :
PROCéDURE
1. L'affaire a été déférée
à la Cour, créée en vertu de l’ancien article 19 de
la
Convention3, par la Commission européenne des Droits de l'Homme
(« la
Commission ») le 15 décembre 1997, dans le délai
de trois mois qu'ouvraient les
anciens articles 32 § 1 et 47 de la Convention. A son origine
se trouve une requête (no 28802/95) dirigée contre la République
hellénique et dont un ressortissant de cet Etat, M. Gabriel Tsavachidis,
avait saisi la Commission le 20 septembre 1995 en vertu de l'ancien article
25.
La demande de la Commission renvoie aux anciens articles 44 et 48 de
la
Convention ainsi qu'à la déclaration grecque reconnaissant
la juridiction obligatoire de la Cour (ancien article 46). Elle a pour
objet d'obtenir une décision sur le point de savoir si les faits
de la cause révélaient un manquement de l'Etat défendeur
aux exigences des articles 8, 9, 11 et 14 de la Convention.
2. En réponse à l’invitation prévue à
l’article 33 § 3 (d) de l’ancien règlement A1,
le requérant a exprimé le désir de participer
à l'instance et désigné son conseil, Me
P. Bitsaxis, avocat au barreau d’Athènes. Le Gouvernement a
indiqué qu’il serait
représenté par M. M. Apetsos, conseiller auprès
du Conseil juridique de l’Etat, et
M. V. Kyriazopoulos, auditeur auprès du Conseil juridique de
l’Etat.
3. En sa qualité de président de la chambre qui
avait initinalment été constituée
(ancien article 43 de la Convention et article 21 du règlement
A) pour connaître des questions procédurales pouvant se poser
avant l’entrée en vigueur du Protocole n° 11, M. R. Bernhardt,
président de la Cour à l’époque, a consulté
par
l'intermédiaire du greffier l'agent du gouvernement grec («
le Gouvernement »), le
conseil du requérant et le délégué de la
Commission au sujet de l'organisation de la procédure écrite.
Conformément à l'ordonnance rendue en conséquence,
le greffier a reçu les mémoires du Gouvernement et du requérant
les 27 et 29 mai 1998 respectivement.
4. Le 16 juillet 1998, la Commission a produit le dossier de la
procédure suivie
devant elle ; le greffier l’y avait invitée sur les instructions
du président de la
chambre.
5. A la suite de l’entrée en vigueur du Protocole n°
11 le 1er novembre 1998,
l’examen de l’affaire a été confiée, en application
de l’article 5 § 5 du Protocole n° 11, à une Grande Chambre
de la nouvelle Cour. Cette Grande Chambre comprenait de plein droit M.
C. L. Rozakis, juge élu au titre de la Grèce (article 27
§ 2 de la Convention et 24 § 4 du règlement de la nouvelle
Cour), M. L. Wildhaber, président de la Cour, Mme E. Palm, vice-présidente
de la Cour, ainsi que M. M. Fischbach, vice-président de section
et M. J.P. Costa, vice-président de section (articles 27 §
3 de la Convention et 24 §§ 3 et 5 (a) du règlement).
Les autres membres désignés conformément au règlement
étaient M. L. Ferrari Bravo, M. G. Jörundsson, M. L. Caflisch,
M. P. Kuris, M. I. Cabral Barreto, M. W. Fuhrmann, Mme N. Vajic, M. J.
Hedigan, Mme W. Thomassen, Mme M. Tsatsa-Nikolovska, M. T. Pantiru et M.
E. Levits (articles 24 §§ 3 et 5 b) et c) ainsi que 100 §
4 du règlement). Ultérieurement, M. Rozakis, qui avait participé
aux décisions de la Commission sur la recevabilité et le
fond de l’affaire, a décidé de se déporter de la Grande
Chambre constituée pour examiner l’affaire. Ainsi, le Gouvernement
grec a désigné M. C. Yeraris pour siéger en tant que
juge ad hoc. Ultérieurement, Mme Palm a remplacé M.
Wildhaber, empêché, à la présidence de la Grande
Chambre et M. Jungwiert, suppléant, l’a remplacé comme membre
de celle-ci (articles 10 et 24 § 5 b) du règlement).
6. A l’invitation de la Cour (article 99 du règlement), la Commission a délégué un de ses membres, M. B. Marxer, pour participer à la procédure devant la Grande Chambre.
7. Les 4 et 5 novembre 1998, le Gouvernement puis le conseil de
M. Tsavachidis
ont communiqué à la Cour le texte d’un accord conclu
entre eux, accompagnée
d’une demande de radiation de l’affaire du rôle. Consulté,
le délégué de la
Commission a déclaré, le 3 décembre 1998 ne pas
s’opposer à la radiation.
8. Le 9 novembre 1998, le président de la Cour a décidé
d’annuler l’audience
prévue pour le 12 novembre.
EN FAIT
9. M. Tsavachidis, qui est né en 1941 et réside
à Kilkis, est témoin de Jéhovah. En 1981, il loua
une salle à Kilkis pour les besoins des réunions des témoins
de
Jéhovah.
10. En 1993, une plainte, datée du 5 février 1993,
fut transmise au parquet de
Kilkis par un avocat de cette ville, selon laquelle une église
des témoins de
Jéhovah fonctionnait à Kilkis sans l’autorisation de
l’autorité ecclésiastique locale
et du ministre de l’Education nationale et des Cultes comme l’exige
l’article 1 du
décret royal des 20 mai/2 juin 1939. Le parquet reçut
aussi un document anonyme
et non signé, daté du 7 mars 1993 et portant la mention
« rapport d’information
hautement confidentiel ».Le rapport indiquait qu’il était
rédigé en exécution d’un
ordre (reproduit au recto de celui-ci) et précisait qu’il ressortait
de l’investigation
menée aux archives du service que dans le passé aucune
demande d’autorisation
pour le fonctionnement d’un lieu de culte n’avait été
déposée par les témoins de
Jéhovah dans le ressort de ce service. En outre, il décrivait
de manière très détaillée les locaux dans lesquels
les témoins de Jéhovah se rencontraient et relatait la manière
dont les réunions de ceux-ci se déroulaient, le nombre de
participants, ainsi que des informations personnelles sur leur chef présumé,
le requérant.
11. Le 7 mai 1993, le procureur de la République de Kilkis
invita le juge du
tribunal de police de cette ville d’effectuer une enquête préliminaire
afin de vérifier l’exactitude des informations susmentionnées.
12. Compte tenu des conclusions de l'enquête préliminaire,
le procureur engagea
des poursuites contre M. Tsavachidis pour ouverture illégale
d'un lieu du culte ;
par une ordonnance du 23 décembre 1993, il le renvoya en jugement
devant le
tribunal correctionnel à juge unique de Kilkis.
13. Le 13 décembre 1994 l’avocat de M. Tsavachidis dénonça à la radio l’existence à Kilkis d’un réseau illégal de surveillance des membres des minorités religieuses et invita les ministres concernés à ordonner une enquête.
14. Le 7 avril 1995, au début de l’audience, le requérant
contesta la validité de la
citation à comparaître le renvoyant en jugement : selon
lui, le rapport
d’information ne pouvait pas être considéré comme
faisant partie du dossier car il
n’était pas signé.
Le tribunal refusa de prononcer la nullité de la citation mais
décida de ne pas
prendre en compte le rapport d’information car il ne portait aucune
signature ni
autre élément permettant d’identifier son auteur.
Le tribunal, suivant les réquisitions du procureur de la République,
acquitta le
requérant au motif qu'il n'existait contre celui-ci aucun document
ou témoignage de nature à prouver qu’il avait commis les
infractions pour lesquelles il était accusé (jugement n°
664/1995).
15. Le même jour, le procureur de la République de Kilkis et le tribunal refusèrent de mener – comme les invitait le requérant – une enquête quant à l’origine du rapport litigieux et d’engager, le cas écheant, des poursuites contre ses auteurs.
16. Le 4 août 1993, un quotidien de grande diffusion, Eleftherotypia,
avait révélé
l’existence d’un autre rapport hautement confidentiel, redigé
par le Service national de renseignements et daté du 19 janvier
1993, et contenant des allégations
attentatoires aux citoyens grecs qui n’étaient pas membres de
l’Eglise orthodoxe
grecque.
Le 11 août 1993, le Premier ministre déclara que ledit rapport était le produit d’une initiative prise par un fonctionnaire de grade inférieur et qu’il n’exprimait en aucun cas la position du gouvernement en la matière.
17. Le journal Eleftherotypia publia le même jour
un autre rapport confidentiel
émanant du Service national de renseignements, qui relatait,
entre autres,
l’existence et les activités des témoins de Jéhovah
ainsi que d’autres minorités
religieuses dans d’autres parties de la Grèce.
PROCéDURE DEVANT LA COMMISSION
18. M. Tsavachidis a saisi la Commission le 30 septembre 1995.
Il se plaignait de
ce que le Service national de renseignements l’avait soumis à
une surveillance en
raison de son appartenance à l’église des témoins
de Jéhovah. Il invoquait les
articles 5, 8, 9, 11 et 14 de la Convention.
19. La Commission a retenu la requête (n° 28802/95)
en partie le 4 mars 1997.
Dans son rapport du 28 octobre 1997 (article 31), elle conclut qu’il
y a eu violation du droit au respect de la vie privée garanti par
l’article 8 (treize voix contre quatre) ; qu’il n’y a pas eu violation
du droit à la liberté de religion garanti par l’article 9
(neuf voix contre huit) ; qu’aucune question distincte ne se pose sous
l’angle de l’article 11 (droit à la liberté de réunion)
(quatorze voix contre trois) ; et qu’il n’est pas nécessaire d’examiner
s’il y a eu violation de l’article 14 (interdiction de discrimination)
de la Convention combiné avec les articles 8, 9 et 11 (unanimité).
Le texte intégral de son avis et des quatre opinions séparées
dont il s'accompagne figure en annexe au présent arrêt1.
CONCLUSIONS PRéSENTéES A LA COUR PAR LE GOUVERNEMENT
20. Le Gouvernement invite la Cour « à rejeter la
requête comme irrecevable ou
de la déclarer non fondée pour l’ensemble des griefs
relatifs à la violation des
articles 8, 9, 11 et 14 de la Convention ».
EN DROIT
21. Le 4 novembre 1998, la Cour a reçu de l’agent du Gouvernement
communication du texte ci-après :
« Me référant à votre lettre
du 13 octobre 1998, j’ai l’honneur de vous informer que le Gouvernement
souhaite conclure en l’espèce un règlement amiable qui consistera
en le paiement de 1 500 000 drachmes pour les frais du requérant
occasionnés par la procédure devant la Commission européenne
des Droits de
l’Homme et en une déclaration selon laquelle les
témoins de Jéhovah ne sont, et ne seront pas à l’avenir,
soumis à aucune surveillance en raison de leurs convictions religieuses.
J’ai déjà contacté le représentant du requérant, M. Bitsaxis, qui est d’accord pour ce règlement amiable.
Par conséquent, j’invite la Cour à radier l’affaire du rôle. »
22. Par une lettre du 5 novembre 1998 à la Cour, l’avocat du requérant a confirmé l’accord ainsi conclu en ces termes :
« De la part du requérant, M. Tsavachidis, j’ai l’honneur d’informer la Cour que le gouvernement hellenique et le requérant ont conclu un règlement amiable dans l’affaire (…) qui est pendante devant la Cour et dont l’audience est fixé pour le 12 novembre 1998.
Le Gouvernement déclare
à ce stade de l’affaire que les témoins de Jéhovah
ne sont soumis à une surveillance secrète en raison de leurs
convictions religieuses et ne seront jamais soumis à une telle surveillance
dans l’avenir. Le Gouvernement s’est en outre engagé à payer
au requérant la somme des 1
500 000 drachmes pour
les frais occasionnés par la procédure devant la Commission
européenne des Droits de l’Homme.
Cette déclaration
satisfait le requérant qui accepte par conséquent le règlement
amiable de l’affaire. Il demande donc à la Cour de rayer l’affaire
du rôle. »
23. Consulté, le délégué de la Commission n’a soulevé aucune objection.
24. La Cour prend acte de l’accord auquel ont abouti le Gouvernement
et M.
Tsavachidis. Elle note qu’il donne satisfaction au requérant.
Elle pourrait
néanmoins, eu égard aux responsabilités lui incombant
aux termes de l’article 37 § 1 in fine de la Convention, décider
de poursuivre l’examen de l’affaire si elle n’est pas assurée que
ledit règlement s’inspire du respect des droits de l’homme tels
que les reconnaissent la Convention ou ses Protocoles (article 62 §
3 du règlement), mais tel n’est pas le cas en l’espèce.
25. A ce sujet, elle rappelle que plusieurs litiges antérieurs
l’ont conduite à se
pencher sur des systèmes de surveillance secrète dans
d’autres Etats que la Grèce et à vérifier, sous l’angle
de l’article 8 de la Convention, l’existence de garanties
adéquates et suffisantes contre les abus de tels systèmes
(arrêts Klass et autres c.
Allemagne du 6 septembre 1978, série A n° 28, Malone c.
Royaume-Uni du 2 août
1984, série A n° 82, et Leander c. Suède du 26 mars
1987, série A n° 116). En
outre, les affaires Kokkinakis c. Grèce et Manoussakis et autres
c. Grèce (arrêts du 25 mai 1993, série A n° 260-A,
et du 26 septembre 1996, Recueil des arrêts et
décisions 1996-IV, respectivement) – dont les faits se
différenciaient cependant de ceux de la présente affaire
– ont conduit la Cour à se prononcer, sous l’angle de l’article
9 de la Convention, sur l’application aux témoins de Jéhovah
de la
législation grecque pertinente. Par là même, elle
a précisé la nature et l’étendue des obligations assumées
dans ces domaines par les Etats contractants.
Partant, il échet de rayer l’affaire du rôle.
par ces motifs, la cour a l’unanimite,
Décide de rayer l’affaire du rôle.
Fait en français et en anglais, puis prononcé en audience
publique au Palais des
Droits de l’Homme, à Strasbourg, le 21 janvier 1999.
Signé : Michele DE Salvia Signé : Elisabeth Palm
Greffier Présidente